Ses cris se perdent dans la foule des gens amassés au milieu de la ruelle. Elle hurle, et chacun de ses souffles agace, dérange. Pourtant, et dans la colère dont elle puise ses brailles, la peine se ressent, on comprend la douleur qui subsiste, masquée derrière ses viles tirades. Je n’étais que de passage lorsque ses alarmes me convièrent à y prêter plus d’intentions. Alors je me hâte au centre de la populace, m’insérant entre les lignes de ceux qui, épris de fiel à l’entendre se plaindre, obstruent le passage. Face à elle, je contemple son visage blessé des rides de la vieillesse. Le temps diminue les corps, et ses griffes déforment nos anciennes idylles. Faciès plissé entre haine et tristesse, je m’attèle à répondre à ses pleures, soucieux de cette pauvre vieille femme, dont les gens riaient les complaintes.

- Dites madame, que vous arrive-t-il ? Demandais-je, le regard attentif, apportant le réconfort dont-elle avait tellement besoin

- Mon chat, c’est mon chat ! il est parti durant la nuit, je l’ai laissé sortir comme chaque soir car il grattait à la fenêtre, mais ce matin il n’était plus là, alors que… alors que d’habitude il y est !

Miséreuse qui seule, se rattache au peu qui lui reste. Et c’est dans ce genre de cas que l’on conçoit la peine de ceux qui se retrouvent sans personne, ou si la solitude en est une, accompagnés d’une bien triste créature. Si elle continuait à parler sa douleur, je savais ce qu’il me restait à faire, et pour calmer les environs comme la commère, je reprenais d’un ton à la fois calme et imperturbable :

- Ne vous inquiétez pas grand-mère, je vais retrouver votre chat. Mesdames, messieurs, je vous en prie, rentrez chez vous. Je vais faire en sorte que cette dame retrouve sa bête, et cesse la tourmente qu’elle diffuse en vous.

De là, la vieille remercia ma présence lorsque les autres, eux, grognaient ma vitesse. Puis les troupes se dissipèrent, lentement, me laissant bientôt seul devant l’inquiète. La saluant du regard, après avoir posé nombre de questions, je bondissais en arrière, quittant la place, à la conquête de cette nouvelle mission.

À travers les rues, au milieu du village, ma course portait la témérité que j’arpentai quant à la réussite de cette missive. J’avançai, calmement d’abord avant d’allonger le pas. Je savais que cette dame n’allait pas tarder à reprendre son chant de douleur, tout bonnement car je connaissais moi-même la souffrance d’être seul. Elle était de celles qui ne trouvent leur place, ou plus tragiquement la perde. Peut-être était-elle autrefois une demoiselle aimée et aimante, que les gens se pressaient de voir, de chérir, d’aimer. En y repensant, cette idée me semblait la pire de toutes. Voir les gens lentement disparaître, la fleure de l’âge n’étant immortelle et dans son sillage, se lie à la mort. Vieille, elle avait dû voir ses proches partir, attendant lasse de les rejoindre, sa bête en guise d’attache à ce monde. J’avais de la peine pour elle, bien que cette notion de compassion n’était vue d’un bon œil au sein de mon clan. Toutefois, qu’en pouvais-je… Je faisais partie de ceux qui aiment, et ce au passé, au présent, au futur.

- Excusez-moi, auriez-vous vu un chat noir et blanc avec un collier rouge autour du cou ?

Non, non, personne n’était apte à répondre à mes questions. Plus j’avançai, et plus le refus me semblait évident. Alors je m’imaginai la scène, mon retour auprès d’elle pour lui dire que nul ne l’avait retrouvé. La voir s’effondrer, ses billes aux cernes apparentes pleines de larmes. Je n’avais pas le droit de lâcher l’affaire, elle comptait sur moi, et moi seul pouvais mener à bien cet ordre.

- Un chat je ne sais pas, mais en tout cas j’ai entendu un chien aboyer tout au long de l’allée quelques heures avant l’aube. J’imagine qu’il courait après quelque chose, car ses hurlements se sont rapidement éloignés…

Là, une piste, où du moins un semblant. Je n’avais rien à perdre, et cette personne venait de m’offrir une chance d’espérer. Lui demandant plus de renseignements, je suivais ses dires jusque là où les sons s’étaient émiettés. La route menait à la sortie du village, à seulement quelques pas cependant. Je n’étais pas en droit de quitter les frontières, mais au loin je percevais les miaulements fluets d’un jeune félin. Quitte à prendre des risques, je savais que réussir cette tâche ne pouvait être qu’une bonne chose, aussi bien pour l’ancêtre qui cesserait de geindre, que pour moi qui sauverai par le fait l’honneur de mon nom. M’aventurant jusque là où provenait les bruits, je l’aperçus, à la cime d’un arbre, affaibli par la peur du vide qui le tenaillait. Grimpant à mon tour, j’arrivai rapidement à son niveau, remarquant le collier à la teinte amarante, la fourrure coïncidente elle aussi à la description que m’avait fournit la vieille dame. Ainsi, je l’avais retrouvé, après plusieurs minutes de recherches intensives. Serrant fort l’animal contre ma poitrine, je me laissai tomber, en arrière, retrouvant le sol avant de filer à vive allure à la fenêtre de celle qui attendait mon retour.

Au loin, je la voyais me chercher du regard, ses yeux n’étant plus aussi performants que les miens. Puis, elle finit par me voir, moi et le chat dans mes bras. Son regard d’attente laissa place à un sourire, ses yeux imbibés des larmes qu’elle se tuait à retenir. Relâchant mon étreinte, le petit fila retrouver sa chère, elle lui ouvrant les bras comme pour le saluer son retour. Ma tâche finie, je m’éloignai dans le calme, toujours attentif à cette scène d’amour entre un animal et son maitre. Je savais que ce genre de mission ne représentait pas grand-chose, mais j’exprimai continuellement cette joie d’en réussir toujours plus. Enfin, dans un dernier effort, je rejoignais les bureaux pour faire mon rapport, plus fier que jamais des retrouvailles que j’avais permis.